Dissidences Algériennes

Dissidences algériennes, publié à l’été 2021 aux éditions de l’Asymétrie, regroupe des textes de différents groupes révolutionnaires algériens, choisis et introduits par le camarade Nedjib Sidi Moussa. Il a rassemblé plus de 90 textes écrits entre 1963 et 2019 et publié sous forme de tracts, de communiqués, d’articles de journaux.

Nedjib a fait le choix de compiler des textes de groupes se revendiquant du socialisme ou du communisme, toutes tendances confondues : des staliniens du Parti de l’avant garde socialiste aux communistes de gauche d’El-Oumami, journal bordiguiste portant des positions « farouchement antinationalistes, anticapitalistes et anti religieuses », en passant par divers groupes trotskistes.

Le livre permet de replacer les débats qui traversent les courants révolutionnaires depuis 1962 : le rapport au FLN et à l’État hérité de la lutte anticoloniale, la critique de la religion et de ceux qui veulent l’imposer qu’ils soient dans l’État ou formellement contre lui (ceux qu’on appelle les islamistes), les droits des femmes, les libertés politiques…

Grèves sauvages qui dégagent les délégués du syndicat unique, émeutes, tribunaux ou bureaux du FLN pris d’assaut, piscine du sous préfet qui sert de latrines collectives… Le livre dresse ainsi un panorama des luttes et moyens d’action des prolétaires algériens contre leur bourgeoisie et leur Etat aussi socialiste et anti impérialiste qu’il se revendique.

Il témoigne d’une période où quelques groupes et comités ont pu poser des positions révolutionnaires au sein d’un mouvement interclassiste sclérosé par les démocrates et les dégagistes. Avec, toujours en toile de fond la peur d’une nouvelle guerre civile et la puissance des forces nationalistes qui empêchent tout dépassement vers un internationalisme puissant.

Le mercredi 25 mai 2022 on recevait Nedjib au local pour la présentation de ce bouquin, prolongée par une discussion. On a cherché à en résumer plusieurs moments et les restituer ici.

La condition des travailleurs algériens après l’indépendance. Le mythe de l’« eldorado » et les travailleurs émigrés.

L’indépendance de l’Algérie a consacré le développement de la bourgeoisie algérienne à travers l’appareil d’État et de ses monopoles. Dans le même temps, le mouvement ouvrier est très faible, et toutes les oppositions à l’État, clandestinisées, sont condamnées à l’exil. Beaucoup de personnes pensaient que leurs conditions de vie s’amélioreraient mais ce n’était qu’illusion. En effet beaucoup de prolos vont continuer à fuir leur pays, une grosse communauté va se retrouver en France, où des groupes vont intervenir. Certains tels El Oumami ou Travailleurs émigrés en lutte envisagent l’action depuis l’étranger mais aussi à destination de l’Algérie. Ils posent des positions de classe vis à vis des luttes des travailleurs immigrés qui se retrouvent trop souvent encadrés par des collectifs ou groupes nationalistes. Ils tentent d’impulser des réflexions au sein des luttes sur l’unité des travailleurs et ce au delà de leur situation particulière d’immigrés ou qu’ils soient plus exploités que d’autres. Mais la période est surtout marquée par un repli dans le nationalisme et des conflits entre organisations. Dans les années 80 et 90, avec la grande pauvreté et le manque de travail, beaucoup se disent qu’il n’y a plus grand-chose à faire dans le pays. La démoralisation est très forte face à l’assise de l’État au travers de l’armée, le poids des traditions, de la morale et de la religion. L’émigration reste donc un échappatoire qui permet de continuer de rêver à « l’eldorado » européen, notamment français.

La société algérienne s’est beaucoup restructurée depuis l’indépendance, pendant mais aussi après l a guerre civile. Progressivement les concentrations d’ouvriers se sont éteintes, désormais l’Etat est le principal employeur. Encore aujourd’hui les personnes qui émigrent en France

se retrouvent pour beaucoup dans des petits business, des tafs de livreurs ou des tafs illégaux. C’est la galère sur place pour ceux qui ont réussi à passer et l’horreur pour ceux qui périssent en mer, en essayant de traverser.

Les trotskistes seuls survivants des tendances communistes révolutionnaires ?

Du fait du soutien international aussi bien matériel que moral, les rares groupes ou personnes encore en activité aujourd’hui semblent être issus de tendances trotskistes. Après l’indépendance il n’y a plus beaucoup de bouquins ou de textes qui parlent de la société algérienne. Les rares documents ne sont lus que par une fine partie de la population notamment les étudiants. Ils lisent beaucoup d’écrits de trotskistes mais sans avoir au-delà de ça de réelles références au marxisme. De plus, pour Nedjib, on peut tenter d’expliquer la forte présence des trotskistes comme étant une conséquence de la société algérienne en elle-même. En effet la vie des prols est dictée par une morale très forte venant de l’Etat, de la religion et de la famille. « Ils [les militants] avaient une matrice très autoritaire donc ils allaient vers des courants très autoritaires. » Malheureusement, il n’y a quasiment pas d’écrits qui se rapprocheraient de courants libertaires, anti autoritaires ou anarchistes.

Le Hirak avant que la porte ne se referme sous l’action du démocratisme.

En février 2019, lorsque le mouvement du Hirak prend de l’ampleur, de nombreux prolétaires algériens sont démoralisés par la situation dans leur pays et leur condition toujours plus précaire. Pour Nedjib, même ceux qui sont emballés par le mouvement sont prêts à partir, leurs valises posées sur le seuil de la porte.

Dans les premières semaines, beaucoup de choses sont malgré tout possibles. Dans un pays où il est interdit de se rassembler, les gens se retrouvent, se parlent, se reconnaissent et découvrent la possibilité d’un commun. Au début des manifestations, il existe un mouvement spontané de grèves, de refus du travail ou de dégradation de locaux de l’État, mais il est resté très marginal et surtout passé sous silence. Ce silence s’explique notamment par l’action de la composante la plus « propre sur elle » des manifestants, éduquée, proposant des mots d’ordre démocratiques. Celle qui a agi dans le sens de l’étouffement de la question sociale sous couvert d’unité du peuple. La confédération des syndicats autonomes a joué un grand rôle dans la propagation de cette ligne et a fait perdre beaucoup de temps et d’énergie dans la première phase du mouvement, la plus importante. La composition inter-classiste des manifestations a vite entraîné la stagnation du mouvement et la fixation sur la destitution du gouvernement sans mot d’ordre plus offensifs. L’assise des syndicats principalement au sein des fonctionnaires, des profs et globalement des classes moyennes a participé à produire le discours réformiste qui a mis du plomb dans l’aile du Hirak, quasiment dès son envol.

  El Oumami n.11 sept-oct 1980

La taule, un « non-sujet » ?

Dans le mouvement du Hirak, comme dans beaucoup de mouvements contemporains, les réseaux sociaux sont aussi un espace de répression. Dès mars 2019, des gens sont arrêtés pour avoir posté des statuts anti-gouvernement sur les réseaux, certains partent en taule. Il y a encore aujourd’hui environ 300 personnes à croupir derrière les barreaux. En Algérie la position anti-carcérale cette question est complètement absente. Dans la mouvance « démocratique », certains s’occupent d’informer sur la question des « détenus d’opinion ». En quelque sorte ils défendent les « bons détenus », comme si ceux emprisonnés pour vol n’avaient pas d’opinion.

En Algérie comme ailleurs, la taule et la justice sont des instruments de coercition de l’État. Notre volonté est de l’abattre, lui et ses outils, partout et sous quelque forme qu’il prenne.