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Page culture du journal n°3

La chevauchée anonyme, 1978 Louis Maria Vega édition Agone

« – Cela ne fera pas grand chose au total.

– Ce ne sera pas grand-chose en effet. Ce sera l’essentiel. Ne pas s’abandonner à la facilité. Il y a d’autres révolutionnaires qui cherchent à ne pas perdre la tête. »

Marseille, septembre 1939, où comme partout le mouvement prolétaires est démembrés par la mobilisation, le patriotisme, la répression policière et judiciaire. Refusant de se joindre à l’appel de la bourgoisie à aller mourir pour la patrie des anarchistes internationalistes partent en amérique du sud. A la manière d’un roman cette autobiographie est traversé par trois axes de lecture qui le rend particulièrement interessant sur l’époque :

La description des conditions de vie du prolétariat en suivant par exemple les personnages travaillant dans la fournaise d’un navire à vapeur. Le temps d’une pause ils parlent d’une grève dans le batiment pendant l’exposition universelle et les difficultés à convaincre un groupe de travailleurs allemand à cesser le travail.

La pratique et la théorie de ces « révolutionnaires du troisième camp », isolés dans ce moment de défaite et déçu par une partie du milieu partant en guerre. De nombreux débats sont retranscrits contre la guerre, contre le chantage démocratique et pour la destruction de tous les Etats.

L’histoire des organisations anarchistes internationalistes par les syndicats, les groupes, les journaux. Dans l’édition Agone, chaque organisation est historisé par une note de bas de page.

En bref, un road-trip passionnant des camarades refusant la résignation dans la défaite.

« – Qu’esperez vous? Jouez les Lénine ?

Danton et Perrain secouent la tête.

– Ni Lénine, ni autre chose. Seulement ne pas perdre le bon sens et aider ceux qui tiennent à conserver le leur. En ce moment, c’est indispensable. Demain, d’autres auront les yeux ouverts par leur propre drame. Nous nous retrouverons alors. En attendant, nous cherchons à rester fidèle à nous même. »

Manu Militari, radiographie critique de l’armée :

La vision de la guerre et des armées qui la font, sont issu pour la plupart d’entre nous de la propagande qui nous est servi dans les films, livres et autre médias.

Tristan Leoni vient ici cassé ces fantasmes héroïque qui éxiste sur l’armée et plus spécifiquement sur l’armée française dit « la grande muette ».

Plus qu’un simple outils de l’Etat, l’armée est au cœur des enjeux diplomatique et géostratégique de celui-ci, elle incarne concrétement le niveau d’organisation et de technicité dont est capable l’Etat qui la détient mais aussi de comment l’Etat entend intégrer sa population à sa défense mais aussi à la répréssion des soulèvements auquel il pourrait faire face

Voilà tout l’intéret de ce livre, se réapproprier la question de l’armée et de sa finalité. Non pas comme un objet lointain qui se bornerai à rester dans les périphéries du capital à savoir les pays pauvres mais comme une question central dont il nous faut nous emparer en tant qu’exploiter tant son courroux sur les Hommes est implacable en témoigne les affrontements en Ukraine ou la répression sanglante du soulèvements au Kazakhstan.

-« L’histoire des gilets jaunes par nous »

Le Fouquet’s des champs élysées, le péage de Narbonne Sud, la préfecture du Puy en Velay, autant de lieux qui ont cramé pendant le mouvement insurrectionnel et autonome des gilets jaunes.11 décembre 2018 , L’Etat Egyptien retire de la vente dans tout le pays les gilets en prévention du 7 ème anniversaire du Hirak… 2018 c’est pas si loin; pourtant on aurait pu douter de nos propres souvenirs…

Mais la répression fut sans précédent car le prolétariat à frôlé le point de rupture avant de tomber désespérement dans la récup’ citoyenniste.

Nous avons fait un bout de l’Histoire, il est temps de la partager. Ce film est une anthologie qui suit mois après mois l’insurrection d’un certain peuple en mal d’avoir la Classe.

Proletkult, Wu-Ming, Éditions Métaillé, 2022

Tbilissi, 1907, une bande de jeunes révolutionnaires viennent d’attaquer un transport de fond pour les besoins de leur organisation. Léonid Volok, sonné après les échanges d’amabilité avec l’escorte se perd en tentant de rejoindre ses camarades. Mais l’histoire qu’il raconte à Alexandre Boganov pour justifier de sa disparition pendant deux semaines est tellement incroyable que ce dernier en fait un livre, L’étoile rouge, décrivant l’organisation socialiste d’une planète lointainte.

Moscou, 1927, Alexandre Bogdanov, militant révolutionnaire de la première heure poursuit ses travaux sur les applications de la transfusion sanguine dans l’idée de réaliser le communisme dans tous les domaines. Dans une époque où les vieux bolchevique comme lui sont toujours plus suspects il voit l’idéal révolutionnaire s’éloigner chaque jour un peu plus. L’histoire de L’étoile rouge est loin derrière lui quand une curieuse fan de son livre vient frapper à la porte de l’institut qu’il dirige.

Dans ce roman le collectif d’auteurs Bolognais Wu-Ming on suit les aventures d’Alexandre Bogdanov entre ses jeunes années de militant révolutionnaire et la déception face à la défaite de la révolution dans le Moscou en pleine stalinisation. On aperçoit les débats qui agitèrent les militants bolcheviques en exil, on croise Gorki dans sa maison à Capri, Lénine qui déteste perdre aux échecs, des communistes qui tente d’organiser l’opposition à Staline, Alexandra Kollontai… Et à la recherche de Léonid Volok, qui sait peut être même des aliens communistes…

Une vie de faussaire, Sarah Kaminsky, 2019, Le livre de poche

Faux et usage de faux, Jack Falck, Jérôme Neutres, 1999, 52mm

Le travail d’Adolfo Kaminsky tout au long de sa vie est traversé par de multiples questions. Une s’accroche particulièrement à la temporalité des guerres qui traversent les époques du capital : partir ou rester ? L’exil forcé de milliers de prolétaires migrants dont la vie tient en partie au sésame des papiers pour vivre là où les conditions seraient moins pires.

De l’horreur de la seconde guerre mondiale aux guerres de libération nationale, diverses sources évoquent l’activité collective et clandestine de compagnons d’infortune : effacer, encrer, signer, vieillir, tamponner et délivrer des faux-papiers à tous ceux visés par la répression. Elles ne dessinent pas les contours des lignes politiques souterraines dans ces moments d’écrasement du prolétariat, elles mettent à jour l’activité de mise en déroute du pouvoir, la solidarité pour que les autres vivent.

De jeunes gens immigrés échappent aux camps de concentrations et prennent le parti de mettre leurs compétences et leurs temps en commun pour permettre à ceux condamnés, de fuir. Sont délivrés à la pelle des faux papiers pour échapper à l’état et sa logique implacable, celle du nationalisme, du tri et de l’assassinat de populations : « une couse contre le montre, une course contre la mort ».

Car il s’agit de cela, quand la guerre s’impose à ceux qui ne l’ont pas choisie, comment fuir ? Que faire si l’on doit rester ? Comment trouver des alliés pour survivre ? Si la théorie et la praxis se nourrissent lors d’incessants allers-retours, ce qui compte politiquement, c’est bien ce qui résiste à l’épreuve du réel : l’intervention des gens qui s’organisent pour tordre les plans de la bourgeoisie.

Ni héros ni martyr, ce personnage ambigu, photographe ou humaniste, fils de juifs russes du Bund émigrés en Argentine puis en France, caché dernière ses encres et solvants, vivant jusqu’à récemment en clandestinité sous une fausse identité, reste insaisissable.

Cette histoire dans l’Histoire vient nous rappeler que les prolos détiennent une somme de savoirs sans mesures sur notre monde, comment il fonctionne et comment le saboter. Une chanson lancinante nous revient agréablement dans les oreilles à l’évocation de ces épreuves : « sache que ta meilleure amie, prolétaire, c’est la chimie ! »